a) Créativité des Réveils
Quand on considère le passé de l’Église, on est frappé par l’ampleur de sa créativité hymnologique. Chaque période a eu ses cantiques à elle, répondant aux aspirations et au goût du moment. Les périodes les plus productives ont été celles des réveils de la foi et de la piété. La Réforme a été l’une d’elles : aux XVIe et XVIIe siècles, on assiste à une prolifération étonnante ; comme le dit Marc Honegger, « à la mort de Luther en 1546, le nombre des mélodies de chorals était infime… en 1697, un immense recueil de huit volumes publié à Leipzig en contenait près de 5 000. » (P.M. p. 75). Une autre vague a été celle du Réveil. A lui seul, le méthodisme a enrichi l’hymnologie anglaise de plus de 6 500 cantiques ! Il en fut de même du Réveil américain qui nous a donné les hymnes inoubliables de Ph. Bliss et I. Sankey (« Songs and solos » contient plusieurs milliers de cantiques) ainsi que du Réveil de Genève (César Malan, à lui seul, en composa plus de 1000). De tels faits nous laissent songeurs : notre génération se laissera-t-elle saisir par une sainte jalousie et relèvera-t-elle le défi de ses pères?
b) Éduquer et développer la créativité
Disons d’abord que toute revalorisation de la musique évangélique implique une éducation musicale, et chacun sait qu’une telle éducation commence tôt. Les parents chrétiens ne devraient pas hésiter à donner à leurs enfants une formation adéquate, sachant que c’est là un placement qui donnera plus tard des fruits dans l’œuvre du Seigneur. C’est aussi le moment où la créativité peut être développée, car l’enfant n’a pas encore les réactions de la plupart des adultes qui l’ont bloquée par un amour-propre mal placé (« ce que je fais ne vaut rien… » , « on se moquerait de moi… « ). II existe maintenant des méthodes de solfège et d’éducation musicale qui visent à développer l’improvisation et la composition (Willems, Orff). Or, un don cultivé à temps peut espérer produire un jour des œuvres valables susceptibles de rivaliser avec des créations professionnelles.
Le prix à payer
« Un chrétien doit chercher à bien faire tout ce qu’il fait, disait un jour Edmond de Pressenssé. II lui est facile de ne pas composer des vers, mais s’il en fait, qu’il se soumette à la règle. » Sommes-nous prêts à payer le prix pour le service du Seigneur ou bien nous contenterons-nous de l’improvisation et du bricolage ? Encourageons-nous les jeunes à profiter des nombreuses occasions offertes actuellement à ceux qui désirent se former sur tous les plans (musique instrumentale, direction chorale, harmonisation, etc.) – ou du moins, à faire l’effort nécessaire pour apprendre à déchiffrer correctement un chant afin de ne pas se limiter d’emblée à ceux que l’on peut apprendre par audition ?
Nous pouvons être d’autant plus exigeants que le but à poursuivre ne requiert pas obligatoirement qu’on ait atteint les hauts sommets de la technique musicale. Signalons à titre d’exemple un essai qui mériterait d’être creusé.
Une expérience à imiter
Dans une école biblique allemande, des étudiants, après une étude biblique, se sont partagés en trois groupes ; l’un d’eux concrétisait les pensées des participants dans des textes en poésie et en prose, le deuxième les exprimait par des arts picturaux, le troisième les mettait en musique. Ils s’attendaient vraiment à recevoir la mélodie comme un cadeau de Dieu… ce qui ne les empêcha pas de composer d’abord un texte résumant le message de l’étude biblique, de l’analyser (syllabes fortes et faibles, pensées à souligner par des notes plus hautes ou plus longues) et puis de composer la musique phrase par phrase pour en faire un ensemble cohérent (Offene Türen, nov.- déc.1977, Missionshaus Bibelschule Wiedenest, p. 25).
On sait par une lettre de Pline que les premiers chrétiens pratiquaient une sorte de psalmodie alternante qui se déroulait comme un dialogue entre l’officiant et l’assemblée. C’est le style qui se prête le mieux à l’improvisation puisqu’il laisse au meneur le temps de modeler la phrase suivante sur les paroles (comme cela se pratique encore dans les églises noires américaines). Je me souviens moi-même d’un voyage à travers la savane du Mali où, avec une demi-douzaine de frères africains, nous improvisions sur des centaines de kilomètres des chants antiphonés.
c) Encourager les artistes que Dieu nous donne
Contrairement à ce que l’on pense, le problème de la création musicale est autant un problème collectif qu’individuel. Certes, un grand artiste n’attendra pas, pour exprimer ce qui bouillonne en lui, que le milieu ambiant soit favorable à sa production. Mais les grands artistes sont rares, et les autres – pour lesquels nous devons être reconnaissants – ont besoin d’être stimulés par le public auquel ils s’adressent. Si ceux qui existent parmi les chrétiens ne sont que tolérés ou subis, au lieu d’être encouragés, ils peuvent être tentés de chercher le succès auprès d’autres auditoires. Ne nous plaignons pas alors de leur désertion – qui aura comme corollaire la pauvreté de notre chant religieux!
Aussi, l’Église d’aujourd’hui devrait, avant toute chose, prier pour que Dieu lui accorde des dons musicaux : chanteurs, instrumentistes, compositeurs, qui soient prêts à mettre leur art au service de Dieu – sans oublier de remercier pour ceux que Dieu a déjà donnés, de les aider et de les soutenir dans leur tâche.
d) Priorité du chant en commun
Si Dieu donne des musiciens de talent à l’Église, ce n’est pas pour réduire au silence les autres fidèles. Il est clair que, dans l’assemblée, la musique est l’affaire de tous. Rien ne remplacera le chant en commun.
Ce fut l’une des grandes innovations de la Réforme. Luther l’associa dès le début au culte pour que l’assemblée puisse y participer activement. En entendant les paroisses luthériennes de Strasbourg chanter leurs chorals, Calvin se persuada de la valeur spirituelle du chant pour la communauté et, revenant à Genève, il intégra le chant des psaumes au culte réformé. Malheureusement, les églises de la Réforme devaient suivre, par la suite, la même évolution que l’Église romaine au Moyen-âge : le chant de toute l’assemblée fut peu à peu remplacé par celui d’une chorale plus qualifiée, que les fidèles se contentaient d’écouter. C’est un peu ce que nous voyons aujourd’hui avec les groupes musicaux évangéliques qui se multiplient (témoignant ainsi d’un renouveau musical évangélique très réel), mais qui produisent des compositions destinées à être chantées devant un grand public par un groupe spécialisé. L’un de ces jeunes déclarait : « Nous devons continuer à composer de la musique pour l’évangélisation, mais nous devrions penser aussi à fournir au peuple de Dieu une musique qui l’aide à exprimer sa foi. » (Semailles et Moisson, mars 1977, p. 39)
Dans ce cas, il faudrait donner la primauté aux lignes mélodiques simples et homogènes, aux rythmes faciles et aux paroles susceptibles d’exprimer les sentiments et les aspirations de beaucoup de chrétiens. Il pourrait s’agir tout simplement d’un cantique ancien bien connu à qui l’on donnerait une nouvelle mélodie. Ou encore de petits chœurs vite appris ou de canons entonnés d’abord par quelques choristes puis repris par tous.
On ne le dira jamais assez : tant que le renouveau musical restera en deçà du chant communautaire, quels que soient ses apports et ses nouveautés, il manquera son but.
Le dessein de Dieu est toujours le Corps du Christ, son édification et son expression
Lui seul est « la plénitude de Celui qui remplit tout et en tous » (Eph.1:23) et qui donne donc son sens à la musique de l’Église. C’est l’ensemble du Corps des rachetés de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance qui chantera le cantique nouveau devant le trône de l’Agneau (Apoc. 5:8-10;15:2-4).
Alfred Kuen et de M. Charles Eberli